Aux JRP 2022 : La recherche porcine européenne en action
Ayant eu lieu en distanciel du fait de la pandémie le 31 janvier et le 1er février dernier, les 54es Journées de la Recherche Porcine, coorganisées par l’Ifip et Inrae, ont une fois encore mis en lumière la dynamique de la recherche porcine européenne. Pendant deux jours, plus de 110 communications ont permis de prendre connaissance des derniers résultats de la recherche porcine, notamment en alimentation.²

Pour 68% des éleveurs sondés, la première des motivations pour fabriquer leur aliment est d’économiser sur le coût alimentaire. © CRAB
Dans la session dédiée à la génétique, une présentation d’Hélène Gilbert de GenPhySE (Université de Toulouse, INRAE, ENVT) a porté sur l’utilisation du microbiote intestinal pour expliquer et prédire l’efficacité alimentaire chez le porc. Le projet ANR MicroFeed (2017-2022) s’intéresse à la contribution du microbiote intestinal, à la variabilité de l’efficacité alimentaire globale telle que sélectionnée habituellement et à celle de l’efficacité digestive, ainsi qu’à la possibilité d’utiliser cette information pour améliorer la décomposition de la variance de ces caractères et les modèles génétiques pour la sélection. En effet, le microbiote intestinal est un partenaire essentiel de l’animal pour le traitement des nutriments au niveau du tube digestif avant leur absorption. Le rôle du microbiote est renforcé lorsque l’aliment contient des fibres alimentaires, qui doivent être transformées par le microbiote en nutriments assimilables, avant absorption par le gros intestin.
Dans un premier dispositif, les animaux avaient des efficacités alimentaires contrastées génétiquement (lignées divergentes). Dans un deuxième dispositif, des animaux génétiquement connectés étaient nourris avec un aliment conventionnel ou fibreux, et les CUD étaient disponibles. La contribution du microbiote fécal à la variance des caractères (microbiabilité) a été estimée avec un modèle linéaire mixte incluant ou non un effet génétique additif. Pour l’IC et la CMJR, le microbiote contribuait pour 12 à 28 % de la variance, sans impact de l’aliment, et les héritabilités étaient supérieures aux microbiabilités. Pour les CUD, les microbiabilités étaient de 0,44 à 0,68, et les héritabilités étaient plus faibles (0,25 à 0,32), toutes ces estimations étant plus élevées avec l’aliment fibreux.
« Avec ces deux dispositifs, nous avons montré que l’information de la composition du microbiote intestinal contribue à expliquer la variance des caractères d’efficacité alimentaire et digestive. Il semble, de plus, que cette information explique une proportion de variance plus élevée que l’information génétique pour les caractères d’efficacité digestive, et ce d’autant plus que l’aliment contient des fibres alimentaires, ce qui était attendu étant donnée la physiologie digestive », conclut Hélène Gilbert.
Porcs mâles entiers ou immunocastrés
Deux des trois synthèses des JRP avaient un lien avec l’alimentation des porcs. L’une d’elles s’intéresse aux stratégies alimentaires pour couvrir les besoins nutritionnels des mâles entiers et/ou immunocastrés pour réduire les risques d’odeur dans la viande. La plupart des porcs charcutiers mâles était encore castrée jusqu’à récemment, afin de réduire le risque éventuel d’odeurs et de saveurs agressives, dites odeurs de verrat, dans la viande. Ces odeurs sont principalement causées par une augmentation des

« D’un point de vue nutritionnel, l’élevage de porcs mâles sans castration chirurgicale impose de relever trois défis majeurs ». © Agroscope
teneurs en androsténone, scatol et, dans une moindre mesure, en indole dans le tissu adipeux.
Les odeurs de verrat se développent à des degrés divers chez les mâles entiers sexuellement matures et immatures et influencent considérablement l’acceptation de la viande de porc par le consommateur. Suite aux préoccupations croissantes des consommateurs au sujet du bien-être animal, la Suisse a interdit la castration chirurgicale à vif (i.e., sans prise en charge de la douleur) depuis 2009, le Danemark depuis 2019, et l’Allemagne depuis le 1er janvier 2021. En France, la castration chirurgicale est interdite depuis le 31 décembre 2021 (arrêté ministériel du 24 février 2020). Les porcs mâles sont désormais des mâles entiers, des mâles immunisés contre la gonadotrophine (également appelés mâles immunocastrés), ou bien encore des mâles castrés avec anesthésie et analgésie conformément aux conditions et dérogations établies par le ministère en charge de l’agriculture. « D’un point de vue nutritionnel, l’élevage de porcs mâles sans castration chirurgicale impose de relever trois défis majeurs », affirme dans sa présentation Giuseppe Bee d’Agroscope (Suisse). Le premier défi consiste à adapter la stratégie alimentaire afin de couvrir les besoins nutritionnels pour un dépôt protéique efficient sans coût alimentaire excessif ni impact environnemental dû à un gaspillage des nutriments. Le deuxième défi consiste à formuler des aliments qui nourrissent le porc et orientent son microbiote.
Les contraintes de formulation et le choix des matières premières doivent permettre de réduire la production de scatol et d’indole en favorisant l’incorporation du tryptophane qui parvient dans le gros intestin dans la biomasse bactérienne, plutôt que son utilisation comme substrat énergétique. Enfin, le troisième défi consiste à optimiser la formulation de l’aliment apporté aux porcs immunocastrés après la deuxième vaccination pour tenir compte de la transition progressive de leur métabolisme à ce moment-là, depuis celui du mâle entier vers un métabolisme plus proche de celui des porcs castrés chirurgicalement. « Nous avons les principales pièces du puzzle, mais il faut encore les exploiter davantage. En effet, les résultats disponibles ne sont pas toujours cohérents en raison de divers facteurs, tels que le type de race ou de croisement, les conditions d’élevage et les régimes alimentaires. À l’avenir, il faudra adopter une approche plus globale qui tienne compte de l’impact de l’ensemble du régime alimentaire, avec tous ses avantages sur les performances, le risque d’odeurs, la qualité des produits, le bien-être, la santé et, bien sûr, la rentabilité », conclut Giuseppe Bee.
Impact environnemental du cuivre et du zinc

Le recueil des communications représente plus de 440 pages à télécharger en un seul clic ©IFIP
Une deuxième synthèse a porté sur le rôle et l’impact environnemental du cuivre et du zinc en élevage porcin, présentée par Emma Gourlez d’Animine et Francine Dequelen de l’Inrae de Saint- Gilles. Un aliment non supplémenté peut théoriquement couvrir les besoins en cuivre des porcs en croissance (environ 6 mg/kg). Toutefois, en pratique, une supplémentation en cuivre dans les aliments est généralement appliquée afin de prendre en compte l’imprécision de l’estimation des besoins et de contrebalancer les effets antagonistes de certains éléments de la ration, qui affectent la biodisponibilité du cuivre et donc les besoins du porc. La supplémentation en cuivre de l’aliment sert de marge de sécurité. Contrairement au cuivre, une supplémentation en zinc est indispensable dans l’alimentation porcine afin de couvrir les besoins de l’animal, car l’apport par les matières premières seules n’est pas suffisant. De plus, la variation de la biodisponibilité du zinc alimentaire due aux différents composants de la ration doit également être prise en compte.
Le cuivre et le zinc sont considérés comme des minéraux essentiels dans la nutrition porcine. Leur quantité biodisponible dans les matières premières composant la ration de base de l’alimentation n’est généralement pas suffisante pour couvrir les besoins physiologiques. Ainsi, ils sont supplémentés dans l’aliment en quantité allant du niveau nutritionnel, afin de couvrir les besoins des animaux, jusqu’à des niveaux supra-nutritionnels permettant d’améliorer la croissance ou la santé digestive. Toutefois, leur rétention étant très faible, ils se retrouvent en grande majorité dans les déjections. La réduction de l’apport alimentaire en cuivre et en zinc est ainsi le principal levier pour diminuer leur quantité dans les effluents et leurs potentiels impacts sur l’environnement, tout en veillant à n’affecter ni la croissance ni la santé de l’animal. « Il existe différents leviers alimentaires pour réduire l’excrétion de cuivre et zinc. Il est en effet possible de faire varier soit la forme de supplémentation, soit la quantité de cuivre et zinc ajoutée dans l’aliment, soit les deux simultanément », notent les auteurs de l’étude, qui ajoutent que l’évolution de la réglementation européenne a conduit à une forte réduction de l’excrétion, aussi bien pour le cuivre que pour le zinc.
L’estimation du flux d’absorption du zinc et du cuivre chez le porc par une méta-analyse a, par ailleurs, fait l’objet d’une présentation par Frédéric Guay de l’Université Laval (Canada). « L’objectif de cette étude est de quantifier par méta-analyse l’impact des apports en zinc et en cuivre ainsi que d’autres facteurs nutritionnels sur le flux d’absorption de ces minéraux. Une base de données dérivée de 29 publications publiées entre 1995 et 2019 et décrivant 165 traitements expérimentaux a été construite », précise Frédéric Guay qui conclut : « Cette étude a permis de confirmer l’interaction entre les flux d’absorption du zinc et du cuivre. Ces flux seraient également influencés par l’amélioration de la digestibilité totale apparente du phosphore suggérant que la dégradation de facteurs anti-nutritionnels comme les phytates agit positivement sur les flux d’absorption du zinc et du cuivre. Finalement, cette étude a permis d’estimer l’apport de zinc et de cuivre absorbable venant des ingrédients, ce qui peut faciliter l’évaluation des apports en suppléments nécessaires pour combler les besoins en minéraux du porc ».
Fabrication d’aliments à la ferme
Constance Drique de la Chambre régionale d’agriculture de Bretagne, a présenté les résultats d’une enquête portant sur 85 éleveurs bretons fabriquant leurs aliments à la ferme. « L’objectif de cette étude est de réaliser un état des lieux des FAF en Bretagne afin de mieux les caractériser (types d’aliments, de matières premières…), d’identifier les motivations des éleveurs “fafeurs” et de savoir si la FAF suscite des projets d’investissements dans les élevages porcins », affirme Constance Drique. Parmi les 85 réponses, 75 concernent des élevages naisseurs engraisseurs, neuf des post-sevreurs-engraisseurs et un est engraisseur. Les naisseurs-engraisseurs (NE) comptent 333 truies en moyenne, avec une productivité moyenne de 25,6 porcs par truie présente par an. Les post-sevreurs-engraisseurs (PSE) ont produit 5 980 porcs charcutiers en 2019 en moyenne, avec des volumes très variables (min. : 2 100 porcs, max. : 13 000). L’engraisseur (E) a produit 2 200 porcs dans l’année. L’enquête distingue deux types de fabrication d’aliments à la ferme : 49 % des élevages enquêtés pratiquent la FAF avec achats de complémentaires (FAF COMP) et 51 % des élevages la FAF avec achats de tourteaux et aliments minéraux vitaminés (TAMV). Pour 68 % des éleveurs sondés, la première des motivations pour fabriquer ses aliments est d’économiser sur le coût alimentaire.
Vient ensuite la volonté de valoriser les matières premières de l’exploitation. Plus précisément, 95 % des éleveurs enquêtés pensent réaliser plus de 10 euros d’économie par tonne d’aliment : 10 à 20 euros et plus de 20 euros pour 52 % et 43 % des répondants respectivement. Le montant des économies estimées par les éleveurs dépend de leur type de FAF : 54 % des éleveurs possédant une FAF TAMV évaluent leur économie à plus de 20 euros par tonne d’aliment contre 32 % des détenteurs de FAF COMP ; les FAF TAMV pouvant davantage contrôler les prix d’achats de chaque matière première. « Cette enquête illustre l’intérêt pour la FAF des éleveurs de porcs, en termes d’économie sur le coût alimentaire et de lien au sol et au territoire. Les nombreux projets d’investissements autour de la FAF semblent en attester avec quasiment autant d’élevages ayant des projets pour la FAF et pour l’élevage, dans un contexte où les attentes sociétales poussent les éleveurs à investir dans de nombreux domaines », conclut Constance Drique.
Des fourrages pour une meilleure autonomie protéique

70 posters ont été exposés virtuellement tout le mois de février. © IFIP
L’amélioration de l’autonomie protéique des exploitations porcines est une voie explorée pour réduire les coûts alimentaires et la dépendance à l’importation de tourteaux d’oléagineux, actuellement très chers dans le cas d’un soja non OGM. Dans son étude présentée aux JRP sur l’intérêt d’un apport de fourrages riches en protéines, Constance Drique, de la chambre régionale d’agriculture de Bretagne, démontre que les fourrages étudiés ne sont pas une source de protéines assez efficace pour les porcs, et leurs effets positifs sur les systèmes de cultures ne sont pas assez conséquents pour permettre une bonne rentabilité économique de l’exploitation, dans le contexte de prix actuel des autres sources de protéines. L’introduction de fourrages dans l’alimentation des porcs charcutiers affecte en effet l’efficacité alimentaire des porcs, et parfois leur vitesse de croissance, quand la méconnaissance de ces matières premières conduit à des apports en acides aminés réalisés de façon non optimale. Ainsi, à l’échelle de l’atelier porcin, le coût alimentaire s’en voit augmenté. À l’échelle de l’exploitation, les performances économiques ne sont pas non plus améliorées, voire même dégradées dans le contexte actuel de prix des matières premières. En effet, bien que l’introduction de fourrages puisse améliorer la capacité productive à long terme des systèmes de culture des exploitations, cette amélioration n’est pas assez importante face au coût de production des fourrages, de mécanisation, et d’achat des céréales, par conséquence, moins produites sur l’exploitation. D’autres contraintes de taille à la valorisation des fourrages en exploitation porcine sont également à prendre en compte : la difficulté de distribuer des fourrages à des porcs logés majoritairement sur caillebotis, un plan d’épandage du lisier réduit, conséquence de l’ajout de légumineuses dans l’assolement, ou encore, le temps de travail non négligeable associé à la distribution des fourrages.
Ainsi, dans un souci d’amélioration d’autonomie protéique des élevages porcins bretons, les fourrages ne sont pas la solution à privilégier, sauf dans des contextes de productions particuliers (agriculture biologique, non OGM, démarche HVE…) et/ou en y associant une refonte des bâtiments et des équipements de distribution. L’utilisation de fourrages pour les porcs peut davantage servir à améliorer leur bien-être.
Philippe Caldier